Je ne vois là que passions tristes et une belle dose de détresse humaine !
Mais quel débat passionnant Olivier !
(pardon d’arriver un peu tardivement, voire longtemps après la tempête, la sérendipité est toujours aussi surprenante)
J’ai moi-même eu de très mauvaises phases, connu un tel stress économique qu’il est plus que probable que j’ai eu ma belle part d’erreurs et de bêtise (mais ça, on ne se l’avoue à soi-même que quelques mois plus tard, en mûrissant – et cela prend parfois des années ;-))
Ceci étant dit pour m’assurer de ne pas paraître donneur de leçons, j’ai à la fois le plaisir de découvrir ta prose au cordeau, Olivier (et je me sens presque honteux de ne la découvrir que si tard), et cette enquête rondement menée sur le profil Twitter de Christophe.
J’ai connu Christophe de façon purement mondaine et superficielle, je l’ai écouté, non pardon, j'ai bu ses paroles lors d’une excellente conférence il y a quelques années et me suis empressé d’aller le féliciter puis je l’ai invité à raison dans nos studios TV en plateaux-débats.
Je ne puis que souligner sa courtoisie et, parce que cela me semble représenter ici un intérêt, ce qu’il m’a semblé être son absence totale de tendance à la flagornerie ou à n’importe quel type de démonstrations opportunistes, comme j’en subis tant (probablement comme toi Olivier depuis que ton blog peut faire et défaire des réputations), et bref, si les faits sont aussi implacables qu’il paraît, je suis sincèrement attristé de voir Christophe déraper dans cette forme de course aux suffrages : je crois que son aveu le plus intéressant, et de loin, réside dans son billet Facebook :
« le web social n’est qu’une comédie planétaire ».
Parce que je crois qu’en effet, à la longue, cette numérisation des relations humaines révèle leur propre indigence, et conduit à une certaine forme de nihilisme quiconque tente d’en vivre dans le bruit ambiant : "puisque rien n’a de sens et que ceci n’est qu’une comédie, donnons le change" - semble-t-on nous dire en toile de fond de certaines pratiques qui, pour leur très grande majorité, échappent au radar d'analystes chevronnés comme Olivier.
Pour rester cohérent avec ce que j'estime un billet d'humeur égotiste, je vous ferais un aveu que j'espère utile à la cause ici défendue.
J’ai fait le choix d’être transparent jusque dans mes moments de bêtise. Oui, et chacun peut le vérifier dans des billets qui remontent aux cinq dernières années.
Parce que je constate d'abord, que le droit à l’oubli est immanent à ces torrents d’information qui de toute façon, même après vous avoir piégé, vous ensevelissent dans le flux incessant (et donc, c'est pas si grave !). Tu le sais bien Olivier, un jour je t’ai posé un lapin, j’étais en proie à toutes sortes de soucis perso qui par-dessus le marché m’ont fait réagir de façon pour le moins, non appropriée au légitime reproche que m’a adressé un intervenant du plateau organisé chez moi et que... j’ai loupé (sic), et finalement, pour ceux qui m’ont connu sous cet angle unique, je ne fus officiellement qu’un gros con. Même si, sur plus de 4300 talks, je n'en ai en effet pour diverses raisons (maladresse ou maladie), loupé / annulé / repoussé qu'une dizaine.
Quoiqu’il en soit je vois là un parallèle saisissant avec les réflexions de Spinoza, que j’ai relu par hasard en mode détente (oui c'est possible) pendant les fêtes.
En m'abreuvant de sa sagesse rassérénante je me suis quelque peu affranchi de mes propres craintes « réputationnelles » en me rappelant que nous ne souffrions le plus souvent que de la comparaison avec les autres, que nous nous infligeons, sottement, comme une constante propension à la passion triste.
Spinoza, qu’il faut apprendre à relire dans le texte pour se rappeler à quel point il est plus doux et pédagogue que ce que des années de didactisme nous ont, pour beaucoup d’entre nous, fait oublier à force de nous l’infliger en bachotage, est un maître à penser plus moderne que le plus moderne de nos gourous du développement personnel quand il est question de construction de soi.
Or toute la dynamique des réseaux sociaux est une expérience phénoménologique du même ordre, et particulièrement éprouvante pour la conscience : une constante épreuve de la comparaison, de la mesure, du besoin de prendre position dans un contexte où l’émulation, dans ce qu’elle a de sain, flirte et se compromet avec la vanité du quant-à-soi que traduit souvent la compétition du nombre de suffrages et de followers.
Il est ainsi démontré en filigrane de ce passionnant et néanmoins déprimant billet, que
la construction du moi numérique gagnerait à puiser quelque racine dans la construction de soi telle que la pratiquaient nos vieux maîtres à penser.
Nous avons beaucoup gagné en hyper connexion, nos fautes sont immédiatement visibles, et le haro de la place publique est remplacé par le lynchage (ou l’autodafé, c’est selon) numérique. Je n’ai que le maigre espoir que cette pression digitale nous oblige à progresser plus vite vers une forme d’élévation générale du niveau de conscience, qui sait.
Remarque sur certains commentaires non documentés apparaissant dans le billet d'Olivier, cette remarque étant valable pour tant de billet et tant d'affaires : je sais bien pour avoir moi-même un peu blogué qu’on ne peut censurer le moindre commentaire une fois la machine emballée.
Mais si le billet est factuel, je me permets d’ajouter que certains commentaires participent d’une mise à mort dont l’intention n’est pas forcément de bon aloi.
Surtout si l'on considère leur anomymat. De même qu’on est toujours le con d’un autre, tout chef d’entreprise est toujours l’escroc d’un frustré. En cas de faux pas, les causes et les motifs se mélangent opportunément. J’en ai fait les frais récemment : en panne de tréso dans ma boîte, j’ai proposé un troc à un vidéaste (qui me semblait, à plus de cinquante ans, mature et rassurant) : je lui ai offert du temps de mon studio TV équipé pour qu'il en fasse profiter un de ses propres clients, contre, en ma faveur cette fois, du temps fondé sur sa compétence de réalisateur pour un des miens. D’habitude cet échange fonctionne bien entre gens du même métier. Deux mois plus tard, la crevure immodeste et crétine plastronne et se trahit, les masques tombent. C'était un piège : il ne s'est engagé en amont que pour me faire chanter en aval. Il "estime" que l’échange, pourtant explicite, lui a été défavorable... Et le gredin mal léché me réclame de l’argent au moyen d'un chantage numérique : Frédéric, si tu ne t’exécutes pas, je dirais à la Terre entière que ta boîte a traversé des problèmes de trésorerie et je tu perdras tes clients. Je passe sur cette évidence, à savoir que, fondamentalement cette menace n'opère sur moi qu'un flop puisque je m'en contrefiche, et que j'ai la chance d'être pathologiquement transparent au point d'avoir déjà tout dit, tout avoué, à tout le monde, clients compris. Je vais même jusqu'à estimer savoir, présomptueux que je suis, me rendre d'autant plus précieux de par l'expérience des difficultés que j'ai justement traversées. Bref passons sur ce qui me permet d'échapper au piège tendu : de facto, ce qui en droit français est une tentative d’extorsion de fonds, est peut-être, qui sait, pour mon cloporte occasionnel une action dont il s'est persuadé qu'elle était son plein droit. Et c'est bien là le drame : qu'il puisse croire dans ce qu'il dit, sous l'effet de sa propre et complète désespérance.
Voilà la mécanique sous-jacente inépuisable dans nos débats, en ligne ou pas. Il n'existe pas de Raison universelle et droite, mais autant de raisons déraisonnées qu'il existe de crétins capables d'y croire.
Nos us et coutumes ne nous ont guère portés, nous autres bipèdes fragiles, et tous autant que nous sommes, à savoir parler la même « raison »: nous nous entre-déchirons sur des arguments subjectifs mais toutes nos démonstrations sont une prétention à la plus parfaite objectivité. Relisez Schopenhauer et son Art d'avoir toujours raison.
Pour clore sur ce point, ce que je veux rappeler, c’est que même les plus imposants colosses ont de nos jours des pieds d’argile numériques. Nous sommes désormais tous condamnés à vivre sous cette drôle d’Epée de Damoclès qu'est le chantage digital : dans tous les domaines de nos vies. Depuis les ados qui subissent de nouvelles formes de brimades par la diffusion de photos embarassantes voire pornographiques (tant d'histoires de petits copains courroucés trahissant l'intimité de petites copines ayant naïvement consenti sextos et snapshats déshabillés, ah que je n'aimerais pas être père de celles-ci), aux marques prises en otage par des cohortes d'internautes mobilisés par d'habiles activistes, et j'en passe tant et de meilleures pour ne pas m'apesantir.
Dans le doute j’ai donc décidé en ce qui me concerne d’être transparent, de tout avouer, de ne rien cacher, de le faire même avec un certain masochisme au besoin, parce que je désamorce en amont tout ce qui, plus tard en aval, pourrait ressembler à une justification. Il est quasiment impossible de me piéger puisque d'abord influençable et si vulnérable, je suis progressivement devenu imperméable à ladite « comédie planétaire » : amateur d'âmes, je lui préfère en revanche le petit drame métaphysique sous-jacent qui se trame, celui où où l’on caresse parfois un peu d’authenticité humaine.
Je déplore en ce sens que Christophe se soit enfoncé dans le mensonge :
Il aurait pu ressortir grandi d'un aveu, humanisé à défaut d'être parfaitement humaniste, touchant dans une forme de sincérité en échappant au tragi-comique discours victimaire.
Si donc Olivier l’une de tes motivations consiste à faire tomber les masques, sans forcément vouloir jouer les redresseurs de torts, simplement pour qu’un peu de véracité éclaire parfois nos sorts misérables, tu peux compter sur mon aide - enfin, je te l’offre au cas improbable où tu puisses en avoir un besoin constructif, un jour.
Mais rester vrai en ce bas monde est en soi un acte de résistance qui finit par coûter beaucoup d’ennemis :
J’en ai personnellement fait les frais, toute ascension aussi modeste soit-elle étant systématiquement suivie d’une redescente (le plus souvent fomentée par les envieux), j'en parle en connaissance de cause me remettant moi-même tout doucement d’une grande fatigue en la matière, qui s’est étalée sur 4 années de décrochage.
Voilà pour la démystification du Personnal Branding n'est-ce pas.
Et néanmoins, je soulignerais pour qui veut l'entendre, être aujourdhui étonnament plus fort que toute cette transparence sans gloire, parfois poisseuse, souvent pathétique, mais toujours digne en filigrane, qui ne m’a certes pas abattu - ne la craignez donc pas. Elle est vraiment moins terrible qu'elle ne semble.
Mais...
la transposition de nos rivalités dans le numérique va jusqu’au bout de sa logique amplificatrice : il y a un jour où, fatalement, les blessés qu’on laisse sur la route reviennent, ils conservent une mémoire douloureuse de leurs bashings, et ils agissent plus tard, quand tu es affaibli.
Il faut s’y préparer.
Aussi l’avenir est-il aux alliances qui durent, aux tribus soudées, plus compactes encore que des familles.
Bien à toi Olivier et merci pour tes lumières et ce blog de très haute facture.
Frédéric Bascuñana